Le régime de la séparation des biens se caractérise par une indépendance des patrimoines : chacun des époux conserve ainsi l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens. Voilà, un principe comme on les aime en droit : simple et clair.
On peut d’ailleurs remarquer qu’il séduit de plus en plus les futurs conjoints qui y adhèrent volontiers. Les raisons en sont diverses. Souvent, ils souhaitent par ce choix s’épargner les affres des difficultés liquidatives en cas de divorce.
Mais, pour conserver tous les avantages de ce régime, il faut savoir faire preuve d’une certaine rigueur. En effet, il est plus adapté aux gens méthodiques, enclins à gérer leurs patrimoines et leurs dépenses avec application.
Pourtant, aveuglés par leur amour ou lassés par le quotidien, selon les cas, nos jeunes mariés oublient vite la règle du jeu. Et il est fréquent de remarquer qu’après avoir posé le strict principe de la séparation de leurs patrimoines, ils s’empressent d’agir comme des époux communs en biens.
Morceaux choisis :
« Bon, chérie, tu payes le prêt et moi les courses. »
« Oui, oui, les impôts sont prélevés sur le compte de ma femme et moi, je paye le loyer. »
Tous ces comportements sont le terreau des litiges qui vont naître lors de la dissolution du régime, notamment si elle a lieu par divorce. Ces différends concerneront principalement les biens immobiliers acquis par les époux séparés de biens, en première ligne desquels se trouve leur résidence principale.
Construction ou acquisition de la résidence principale, problèmes rencontrés.
Alors que la pierre angulaire du régime de séparation des biens est l’indépendance des patrimoines des époux, il est fréquent de constater que ces derniers participent très majoritairement ensemble à l’acquisition de leur résidence principale.
Cette mise en commun des finances des époux ou de leur force de travail peut être à l’origine de certains conflits qui naîtront lors de leur séparation.
Construction de la résidence principale sur le terrain d’un époux.
Imaginons le cas de l’époux CASTOR. Madame CASTOR est propriétaire d’un terrain et Monsieur CASTOR, maçon de profession, édifie de ses propres mains pendant ses vacances et ses week-ends la résidence principale du couple. Il acquitte même avec ses propres deniers le coût des matériaux de construction.
Une chose est sûre, la maison construite sur le terrain de Madame CASTOR lui appartient, comme tout ce qui peut y être édifié, selon la règle de l’accession.
Monsieur CASTOR se trouve-t-il pour autant privé de son labeur en cas de séparation ?
En ce qui concerne les matériaux, il a droit au remboursement de ses dépenses par le jeu de ce que l’on appelle la créance entre époux. Pour cela, encore faut-il que Monsieur CASTOR puisse apporter la preuve de ses dépenses. A-t-il bien pris garde de conserver les factures? A défaut, ces demandes de remboursement seront vaines. Mais, même si Monsieur CASTOR a été prévoyant, on imagine que Madame CASTOR n’hésitera pas à réfuter l’existence de sa dette. Bien conseillée, elle pourrait ainsi arguer que cette dépense consistait en un moyen pour Monsieur CASTOR de s’acquitter de sa contribution aux charges du mariage, en contrepartie de la mise à disposition gratuite de la maison par son épouse.
En ce qui concerne le travail fourni par Monsieur CASTOR, la cour de cassation a pu accepter le principe de l’indemnisation de l’époux bénévole ayant amélioré le bien de son conjoint. Mais, encore une fois, Madame CASTOR s’opposera à la rémunération de son ex-époux et la situation créera à coup sûr un litige.
Construction de la résidence principale sur le terrain indivis des époux.
Pour le cas où le terrain au lieu d’appartenir un seul époux, appartenait en indivision à Monsieur et Madame CASTOR, l’indemnisation de l’époux ayant réalisé les travaux et acquitter le coût des matériaux sera plus aisé. En effet, les articles 815-12 et 815-13 du Code Civil relatifs à l’indivision prévoient le principe de ces indemnisations.
Financement de la construction de la résidence principale sur le terrain d’un époux.
Cette fois-ci, c’est le cas de Monsieur ECUREUIL. Ce dernier est moins manuel que Monsieur CASTOR. Lui, son domaine, c’est la finance. Il souscrit un prêt bancaire pour payer les travaux de construction sur le terrain de son épouse de ce qui constituera leur résidence principale.
Sous les mêmes réserves tenant à la preuve des paiements et à la contribution aux charges du mariage, Monsieur ECUREUIL pourra demander le remboursement de la créance entre époux.
Financement de la construction de la résidence principale sur le terrain indivis des époux
Si l’emprunt de Monsieur ECUREUIL a pour objet la construction sur un terrain appartenant aux deux époux, il disposera également d’une créance contre l’indivision et donc d’un droit à remboursement.
Financement de l’acquisition de la résidence principale
Ce sont les cas le plus fréquemment rencontrés.
Des époux soumis au régime de la séparation des biens acquièrent ensemble un bien immobilier au moyen d’un prêt bancaire que l’un des deux remboursera en totalité ou pour une part supérieure à celle de son conjoint.
Ou encore, un époux finance seul un bien acquis personnellement par son conjoint.
Dès lors que ces acquisitions portent sur la résidence conjugale ou même sur une résidence secondaire, la jurisprudence actuelle considère que son financement participe de la contribution aux charges du mariage.
Or, les règles relatives à la contribution des époux aux charges du mariage résultent du contrat de mariage ou de ses aménagements. Force est de constater que ces conventions prévoient majoritairement que les époux sont réputés s’être acquittés de cette contribution au jour le jour. Autrement dit, dans ces hypothèses, et si le contrat prévoit également que cette présomption est irréfragable, l’époux financeur n’a droit à aucun remboursement contre son conjoint ou contre l’indivision.
Ne nous méprenons pas, cette absence de remboursement peut avoir été voulue par les époux en faisant de la résidence principale une exception à leur volonté de séparation des patrimoines.
Quoi qu’il en soit, leur choix doit être délibéré et chaque situation doit faire l’objet d’une réflexion adaptée.
Construction ou acquisition de la résidence principale, prévention.
Après avoir envisagé les éventuels litiges nés de la construction ou l’acquisition de la résidence principale par des époux séparés de biens, quelles solutions leur proposer ?
Adaptation du contrat de mariage
Lors de la conclusion de leur contrat de mariage, les époux devront tout d’abord définir les dépenses qu’ils entendent faire figurer parmi les charges du mariage.
Veulent-ils y inclure les dépenses relatives à l’investissement immobilier ? Si oui, tout investissement ou seulement celui relatif à la résidence principale ?
Plus finement, peut-être voudront-ils distinguer parmi ces dépenses celles résultant d’un prêt de celles provenant d’une donation ou du prix de vente d’un bien personnel ?
Ou encore, leur paraît-il judicieux que la construction ou les travaux réalisés par un époux sur la résidence principale relèvent de sa contribution ?
Les époux peuvent également se voir proposer une société d’acquêts adjointe à leur régime de séparation. Elle consiste à créer une communauté limitée par exemple à la résidence principale du couple. Cette solution peut être envisagée dès le mariage ou être proposée à des époux en cours d’union, l’un d’eux apportant à cette communauté restreinte la résidence principale dont il est seul propriétaire.
On peut ainsi assainir la situation du couple Castor ou Ecureuil et leur éviter toute discussion ultérieure.
Convention lors de l’acquisition
Le conseil pourra également être apporté lors de l’acquisition de la résidence principale ou de son terrain d’assiette.
L’acte d’acquisition devra alors rappeler la nécessaire corrélation qui doit exister entre les proportions d’acquisition et le financement du bien. Il devra également prévoir le cas où les époux ne respectent pas cette adéquation. Par exemple, lorsque l’un d’eux rembourse plus que prévu initialement.
Comme souvent, nous remarquons avec le régime de séparation de biens que comme tout bon outil, il doit être manié avec dextérité.
Clément DUBREUIL, notaire