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La mort au temps du numérique

Article publié dans les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, dans la rubrique l’étude des notaires.

Le temps disparaît où les héritiers d’un défunt s’interrogeaient, à l’occasion du déménagement de son logement, sur le sort, incinération ou conservation, de ses papiers de famille. Avec la dématérialisation de ces données, la question porte aujourd’hui, pour ceux des ayants droit qui s’en préoccupent, sur le sort numérique de ses traces laissées sur internet.

La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 a organisé le sort numérique des traces laissées sur internet par des dispositions aujourd’hui inscrites dans les articles 84 à 86 de la loi informatique et libertés, qui organisent la question spécifique de la mort numérique et des modalités de son anticipation, selon que la personne concernée a pris des dispositions ou pas.

EN L’ABSENCE DE DISPOSITIONS DE DERNIÈRES VOLONTÉS

En l’absence de directives données de son vivant, les héritiers d’un défunt ont la possibilité d’exercer provisoirement l’ensemble des droits de celui-ci sur ses données personnelles (droits à l’information, à l’accès, à la rectification, à l’effacement, à la limitation, à la portabilité et à l’opposition).
Il ne s’agit pas de l’usage matériel des identifiants et codes d’accès d’un défunt en ses lieu et place, au motif que l’informatique le permettrait, mais bien de l’exercice, en qualité de tiers, des droits qu’une personne décédée avait sur ses données personnelles (écrits, images, sons, vidéos…).

Des circonstances comptées
La loi limite le maintien des droits du défunt sur ses données personnelles :

  • aux mesures nécessaires à l’organisation et au règlement de la succession du défunt,
  • à la communication de ses biens numériques (choses appropriables et valorisables, malgré leur virtualité : créations, interprétations, etc.).
  • pour la prise en compte du décès par les responsables de traitement.

Quelques modalités de mise en œuvre
Sur leur demande, l’exécution des instructions données par les héritiers doit leur être justifiée gratuitement par le responsable de traitement (l’animateur du site internet).
Pour la mise en œuvre de ces prérogatives, l’héritier doit justifier de sa qualité par la production d’un simple livret de famille ou d’un acte de notoriété délivré par un notaire, selon le niveau de vérification que voudra réaliser le responsable de traitement.

LES DIRECTIVES LAISSÉES PAR LE DÉFUNT

Selon l’article 85 de la loi informatique et libertés, « toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès ».

Une possibilité offerte à toute personne dès l’âge de quinze ans !
Il est remarquable de lire que cette faculté n’est pas limitée aux seules personnes majeures, mais ouverte à toutes les personnes, numériquement autonomes en France dès l’âge de quinze ans.
Ainsi, avant sa majorité légale, un mineur pourra prendre seul des dispositions pour le sort de ses données personnelles.

Deux catégories de directives
La loi classe les directives post mortem d’une personne en deux catégories distinctes :
• Les directives générales, lorsqu’elles « concernent l’ensemble des données à caractère personnel se rapportant à la personne concernée » ;
• ou particulières, lorsqu’elles « concernent les traitements de données à caractère personnel mentionnées par ces directives ».
Le champ des directives générales ne sera donc que celui où la personne concernée évoquera toutes ses données personnelles, sans aucune restriction ou précision selon leur nature ou le traitement dont elles font l’objet.
Toutefois, au sein de directives générales quant à leur périmètre, la personne concernée pourra prendre des directives distinctes sur le sort de données différentes (effacement de ses écrits, transmission de ses photos à ses enfants, etc.).

Les directives générales
• Pas de forme prévue
La loi ne fixe aucune condition de forme à l’expression de ces directives. Tout moyen conservant la preuve et l’origine des directives sera donc par principe admissible. Un simple mail, adressé à partir d’une messagerie dont l’accès était protégé, devrait être suffisant. La forme écrite n’étant pas même prescrite. Une vidéo du défunt, énonçant ses volontés serait valable, tout comme un enregistrement sonore.

• Des directives pouvant être prises sous la forme d’un testament
Évidemment, un testament, document par nature destiné à consigner des directives post-mortem, et dont les conditions de validité sont parfaitement fixées, représenterait une forme parfaitement adaptée. Ces directives seraient ainsi conservées, ainsi que le notariat en a la mission et l’organisation, enregistrées auprès du fichier des dispositions de dernières volontés, assurant leur révélation et leur exécution.

• Un tiers de confiance numérique… ou pas
La loi a prévu que les directives générales pouvaient être enregistrées auprès d’un corps d’intervenants, dénommés tiers de confiance numérique, certifiés par la Cnil ; corps qui n’a pas été créé à ce jour.

• Ou des héritiers
À défaut d’une personne spécialement désignée, ou en cas de prédécès de celle-ci, et sauf directive contraire, la mise en œuvre des directives de la personne concernée reviendra à ses héritiers.

• Un enregistrement souhaitable, où que ce soit
La loi dispose que « les références des directives générales et le tiers de confiance auprès duquel elles sont enregistrées sont inscrites dans un registre unique dont les modalités et l’accès sont fixés par décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié » de la CNIL ; le même décret est toujours attendu.
Des offres sont ainsi faites dans le monde numérique. Elles émanent le plus souvent d’acteurs marchands, à la pérennité incertaine, avec des propositions techniques pas toujours elles-mêmes pérennes, ce qui est regrettable pour des dispositions de long terme. Revient ici le rôle naturel du notaire.
Les directives particulières
• Des directives partielles
Les directives particulières ne concernent que les traitements de données à caractère personnel mentionnées par ces directives.
À la différence des directives générales, des directives particulières peuvent n’être que partielles, ne portant que sur certaines données d’un traitement identifié. Ce sera le cas par exemple si les directives portent sur les photos d’un site particulier et non sur les correspondances qui leur sont associées.
Partielles, ces directives risqueront d’être incomplètes, toute énonciation étant sujette à omission. Dans ce cas, les données pour lesquelles des directives particulières n’auront pas été prises seront traitées selon le régime prévu en l’absence de directives.

• Des directives éparpillées
Partielles, ces directives seront en outre par nature éparpillées auprès des différents responsables de traitement que la personne concernée aura identifiés, en oubliant les autres.
Ces aspects partiels et éparpillés des directives présenteront forcément une limite, sinon à leur exécution, du moins au contrôle de celles-ci par les héritiers. Sans parler du moyen pour le responsable de traitement de prendre connaissance et de se faire justifier du décès de la personne concernée, en vue de leur exécution.

• Des directives formatées
Ces directives particulières doivent faire l’objet d’un consentement spécifique et ne peuvent résulter de la seule approbation de conditions générales d’utilisation d’un site internet. Il ne sera donc pas possible de prévoir des directives automatiques ou par défaut.
Les directives particulières doivent être enregistrées auprès des responsables des traitements concernés (réseaux sociaux, messageries, fournisseurs, prestataires de toutes sortes). À cet effet, les grandes plateformes internet ont prévu des fonctions particulières sur leurs sites. Celles-ci sont tout autant des guides que des carcans, suggérant les décisions à prendre, mais les limitant parallèlement.
Ce sujet est donc complexe, et avec l’importance prise par les traces internet laissées par chacun d’entre nous, leur sort doit ne doit plus être ignoré