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Famille recomposée et protection du conjoint : une nécessité adaptée aux réalités modernes

Publié dans le magazine Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, rubrique l’Etude des notaires, par Julie Retout

Les familles recomposées sont devenues une réalité incontournable de notre société. Les divorces, les remariages et la cohabitation hors mariage ont rendu la structure familiale bien plus complexe qu’auparavant. Dans ce contexte, la protection du survivant est un enjeu majeur.

Les conjoints ont souvent à cœur de se protéger mutuellement, tout en préservant les droits de leurs enfants respectifs. Les problèmes de succession peuvent déclencher des conflits familiaux prolongés et coûteux, impactant durablement les relations. L’adaptation des solutions en fonction des besoins spécifiques de chaque famille est alors essentielle.

Problématiquest et enjeux

Au préalable, rappelons que les enfants sont des héritiers réservataires : un parent ne peut pas déshériter en totalité ses enfants, peu importe le mode d’union retenu par le couple. Cette part minimum que doivent recevoir les enfants varie en fonction de leur nombre et se répartit de manière égalitaire entre eux.

En présence d’un enfant, elle sera de moitié, en présence de deux enfants, elle sera de deux tiers et en présence de trois enfants ou plus, de trois quarts. Le surplus du patrimoine peut être légué à quiconque, à la discrétion du testateur, et donc au conjoint. Mais tous les conjoints ne sont pas sur un pied d’égalité. En effet, le mode de conjugalité retenu par le couple aura des incidences importantes en matière de transmission.

Dans la plupart des cas, les conjoints souhaitent que le survivant puisse rester dans la résidence principale et maintenir son niveau de vie, tout en préservant les droits des enfants de chacun, qui doivent, in fine, hériter du patrimoine de leur parent. Trouver l’équilibre entre des intérêts souvent contradictoires est délicat.

En effet, si le survivant hérite de tout ou partie du patrimoine en pleine propriété, ces biens, à son décès, seront transmis à ses propres enfants et les enfants du premier défunt se trouveront privés d’une part du patrimoine de leur parent, transféré par voie de conséquence aux enfants du survivant.

La solution est alors de léguer au survivant des droits en usufruit seulement, pouvant porter sur tout ou partie du patrimoine, ce qui permettra au survivant de profiter du bien jusqu’à son décès. Lorsqu’il s’agit d’un bien immobilier, il pourra notamment l’occuper, jusqu’à son décès, ou le louer et percevoir les loyers.

De leurs côtés, les enfants du premier défunt deviendront nus-propriétaires de ces mêmes biens. Ainsi, pendant toute la vie du survivant, ils en seront propriétaires mais privés de la jouissance. Le conjoint survivant pourra ainsi conserver son cadre de vie. À son décès, l’usufruit s’éteindra automatiquement et les enfants nus-propriétaires deviendront pleinement propriétaires de l’ensemble de ces biens.

L’inégalité selon le choix du mode de conjugalité 

Mais de telles dispositions sont-elles toujours possibles en pratique ? Eh bien, tout dépend de la quotité transmise et du mode de conjugalité choisie par le couple.

En tout état de cause et quelle que soit l’option retenue,il est primordial de rédiger un testament. 

Pour cause, le survivant n’a, en présence d’enfants issus d’unions différentes, jamais de droits en usufruit.

Le conjoint marié hérite d’un quart en toute propriété (outre un droit viager sur le logement lui permettant d’y vivre mais, sauf exception, il ne pourra pas louer), le conjoint pacsé ou en union libre n’a aucun droit prévu par la loi. Le partenaire de Pacs profite tout de même d’un droit de jouissance sur le logement pendant une année, ce qui n’est pas satisfaisant.

Il est fréquent d’entendre que « les notaires marient leurs clients ». En réalité, lorsque l’objectif est de protéger le survivant, le mariage sera toujours conseillé, car il apporte la meilleure protection via le choix d’un régime matrimonial adapté et l’établissement d’un testament ou d’une donation entre époux. En effet, les enfants du défunt n’auront pas le choix que d’accepter l’application de cette transmission, dans la limite de la quotité permise entre époux, notamment en usufruit, quand bien même cela porte sur tout le patrimoine.

Cette même transmission au profit d’un concubin ou d’un partenaire de Pacs peut être réductible, c’est-à-dire que les enfants peuvent réclamer une indemnité pour recevoir le minimum prévu par la loi.

Illustration

Si nous prenons l’exemple d’un couple non marié de 55 ans, avec un enfant (peu importe d’ailleurs qu’il soit issu de cette union ou non).
L’un des conjoints décède en laissant un testament aux termes duquel il lègue l’usufruit du logement à son conjoint d’une valeur de 300 000 euros. Il est propriétaire en outre de liquidités pour 30 000 euros, soit un patrimoine total de 330 000 euros. En présence d’un enfant, la quotité disponible est de moitié, de même que la réserve de l’enfant, soit 165 000 euros.

Le Code civil prévoit que l’enfant pourra, à son choix, soit exécuter le testament : la protection est alors assurée ; soit abandonner la quotité disponible : dans notre exemple, il s’agira d’abandonner la moitié en propriété du patrimoine. Se crée alors une indivision entre l’enfant et le survivant, qui peut se voir réclamer une indemnité pour son occupation ou contraint de vendre le logement.
Il est alors possible dans le testament d’écarter cette disposition, l’enfant n’aura pas le choix que d’exécuter le testament et le conjoint pourra bien bénéficier de son usufruit, mais à charge par lui d’indemniser l’enfant, d’un montant qui peut ne pas être négligeable.

Dans notre exemple, la valeur du bien est de 300 000 euros et celle de l’usufruit légué de 50 % de la valeur du bien (barème fiscal selon l’âge du survivant), soit 150 000 euros. Il doit ensuite être réalisé un calcul « en assiette » en comparant la valeur en pleine propriété du bien légué à la quotité disponible (300 000 – 165 000 = 135 000) et en appliquant le taux d’usufruit en fonction de l’âge du survivant (135 000 x 50 % = 67 500 euros).

Ainsi, pour pouvoir hériter de son usufruit, le survivant devra verser à l’enfant, si celui-ci en fait la demande, une indemnité de 67 500 euros. Précisons que les enfants peuvent consentir à renoncer par anticipation à cette indemnisation. Également, une fois le montant de l’indemnité estimée, les conjoints pourraient la financer au moyen d’un contrat d’assurance-vie dont le bénéficiaire serait le survivant. Rappelons en effet que sauf excès, le capital versé au titre de ces contrats ne fait pas partie de la succession.

Et pour les réticents au mariage

Du point de vue fiscal, le conjoint marié et le partenaire de Pacs bénéficient d’une exonération totale des droits de succession. De son côté, le concubin est considéré comme non parent et devra verser, outre l’éventuelle indemnité aux enfants, les droits de mutation à titre gratuit au taux de 60 %.

Pour ceux qui ne veulent pas se marier, il est possible d’envisager une protection dès la constitution du patrimoine, lors de l’acquisition d’un bien.

Particulièrement, ils peuvent recourir à la société civile immobilière. Les conjoints fondateurs organiseront leur protection par l’insertion de clauses d’agrément restrictives, de gestion des pouvoirs, et la stipulation d’une réserve de jouissance exclusive et gratuite du logement familial à leur profit.
Il sera également opportun de coupler de bons statuts avec un démembrement croisé des parts sociales. Au décès du premier, le survivant disposera de la pleine propriété de la moitié de la société, et de l’usufruit de l’autre moitié. Ce ne sera qu’au décès du second que les enfants du premier profiteront du patrimoine. Ce démembrement étant réalisé via un échange et non un legs, les enfants ne pourront réclamer aucune indemnisation.

Enfin, mais c’est à la marge, il est possible de procéder à une acquisition en tontine : malgré un financement conjoint, le survivant sera réputé rétroactivement seul propriétaire du bien au décès du premier. La fiscalité au décès sera nulle pour les époux et les partenaires de Pacs.
Les concubins, quant à eux, pourront opter pour la fiscalité applicable en matière de vente, bien plus avantageuse que les 60 % en matière de succession. Mais en cas de séparation, le contrat initial n’est pas rompu, et il est impossible de demander le partage judiciaire. La mésentente peut ainsi entraîner un blocage total.

En résumé, et à défaut de solution miracle, il est indispensable de prendre le temps de poser les choses et d’anticiper !

Par Me Julie Retout, notaire.